Que ce soit le Crédit-bail, Partenariat Public Privé (PPP), equity finance, ou financement islamique, ce sont-là toutes une gamme de solutions non traditionnelles permettant aux entreprises d'accéder à des fonds en dehors des canaux bancaires classiques pour lesquelles le Sénégal a une longue tradition. Jusqu’ici considérés comme une option complémentaire, les financements alternatifs sont devenus une option incontournable, permettant aux entreprises de résoudre des problèmes de trésorerie, ou d’accélérer leur expansion, et aux Etats d’investir dans de nouveaux projets.
Dans une économie d’endettement comme le Sénégal, la seule forme traditionnelle de financement s’avère très insuffisante pour répondre aux énormes besoins de développement. Ainsi, pour sa Stratégie nationale de développement (SND), le gouvernement table sur un nouveau paradigme privilégiant le capital private equity dans le financement des projets. Exit le financement d’endettement, place aux marchés des capitaux. Ce changement rendrait, les projets plus attractifs pour les banques et favorise ainsi l’innovation, grâce à une plus grande tolérance au risque.
« La nouvelle option gouvernementale de miser principalement sur les financements dits innovants ou alternatifs apparaît plutôt salutaire, dans un contexte de difficultés pour lever des fonds sur les marchés financiers traditionnels », face à la réduction des marges et le retour des inquiétudes relatives à un nouveau cycle d'endettement de l'Afrique. C’est l’avis d’un spécialiste de l’investissement sous couvert de l’anonymat. Selon lui, « en matière de financement innovant, pour soutenir son développement économique, le Sénégal a une expérience appréciable par exemple en matière de Partenariat Public-Privé avec la mise en œuvre réussie d’un certain nombre de projets dans le secteur des infrastructures routières, énergétiques ». Qui se souvient du premier contrat PPP conclu au Sénégal le 21 Mai 1888 à St Louis (alors capitale de l’Afrique Occidentale Française) et portant sur un service de transport par bateau à vapeur entre Dakar et Gorée ?
Cependant, en dépit des réalisations et au regard du potentiel important de développement de projets dans divers domaines, le recours à l’outil PPP a montré beaucoup de limites liées notamment, à une inadéquation générale du cadre juridique et institutionnel mis en place pour en soutenir l’essor.
Dans le cadre du PSE (Plan Sénégal Emergent), une ferme résolution avait été prise de tirer un meilleur parti des PPP comme mode de réalisation d’une vingtaine de projets inscrits au PSE, pour un coût global évalué à plus de 1587 milliards de francs. La réalisation de cet objectif devait cependant passer nécessairement par l’érection d’institutions fortes et pérennes d’une part, et d’autre part, une pratique des PPP par des acteurs publics bien outillés, dans un environnement juridique assaini adossé à un cadre budgétaire et de gestion des risques qui rassure pour les investisseurs et bien maitrisé par les autorités contractantes.
L’éclatement du précédent cadre juridique n’avait ni totalement satisfait les besoins croissants en infrastructures, ni attiré autant le nombre d’investisseurs souhaité. Aussi, avec la loi du 22 février 2021 abrogeant celle du 20 février 2014, le gouvernement a redéfini un cadre juridique pour les partenariats public‐privé, visant à la fois à mieux utiliser les ressources publiques, à attirer plus d’investisseurs et à favoriser l’emploi local.
Mis à part le PPP, et devant l’incapacité du secteur bancaire de faire face aux besoins en financement croissant des micros, petites et moyennes entreprises au Sénégal, le capital-investissement (Private equity) est apparu comme un mode alternatif de financement de ces entreprises. Il en est de même pour les financements structurés, comme la titrisation des créances, ou encore la finance islamique en passant par le Financement participatif (Crowdfunding), entre autres.
L’État, capital-investisseur
Au cours du troisième trimestre 2022, le Sénégal, avec un total de près de 97 millions de dollars (62 milliards de Fcfa) a attiré plus de ressources de financement via le private equity que le Kenya et l'Afrique du Sud.
Dans une économie d’endettement comme le Sénégal, la seule forme traditionnelle de financement s’avère très insuffisante pour répondre aux énormes besoins de développement. Ainsi, pour sa Stratégie nationale de développement (SND), le gouvernement table sur un nouveau paradigme privilégiant le capital private equity dans le financement des projets. Exit le financement d’endettement, place aux marchés des capitaux. Ce changement rendrait, les projets plus attractifs pour les banques et favorise ainsi l’innovation, grâce à une plus grande tolérance au risque.
« La nouvelle option gouvernementale de miser principalement sur les financements dits innovants ou alternatifs apparaît plutôt salutaire, dans un contexte de difficultés pour lever des fonds sur les marchés financiers traditionnels », face à la réduction des marges et le retour des inquiétudes relatives à un nouveau cycle d'endettement de l'Afrique. C’est l’avis d’un spécialiste de l’investissement sous couvert de l’anonymat. Selon lui, « en matière de financement innovant, pour soutenir son développement économique, le Sénégal a une expérience appréciable par exemple en matière de Partenariat Public-Privé avec la mise en œuvre réussie d’un certain nombre de projets dans le secteur des infrastructures routières, énergétiques ». Qui se souvient du premier contrat PPP conclu au Sénégal le 21 Mai 1888 à St Louis (alors capitale de l’Afrique Occidentale Française) et portant sur un service de transport par bateau à vapeur entre Dakar et Gorée ?
Cependant, en dépit des réalisations et au regard du potentiel important de développement de projets dans divers domaines, le recours à l’outil PPP a montré beaucoup de limites liées notamment, à une inadéquation générale du cadre juridique et institutionnel mis en place pour en soutenir l’essor.
Dans le cadre du PSE (Plan Sénégal Emergent), une ferme résolution avait été prise de tirer un meilleur parti des PPP comme mode de réalisation d’une vingtaine de projets inscrits au PSE, pour un coût global évalué à plus de 1587 milliards de francs. La réalisation de cet objectif devait cependant passer nécessairement par l’érection d’institutions fortes et pérennes d’une part, et d’autre part, une pratique des PPP par des acteurs publics bien outillés, dans un environnement juridique assaini adossé à un cadre budgétaire et de gestion des risques qui rassure pour les investisseurs et bien maitrisé par les autorités contractantes.
L’éclatement du précédent cadre juridique n’avait ni totalement satisfait les besoins croissants en infrastructures, ni attiré autant le nombre d’investisseurs souhaité. Aussi, avec la loi du 22 février 2021 abrogeant celle du 20 février 2014, le gouvernement a redéfini un cadre juridique pour les partenariats public‐privé, visant à la fois à mieux utiliser les ressources publiques, à attirer plus d’investisseurs et à favoriser l’emploi local.
Mis à part le PPP, et devant l’incapacité du secteur bancaire de faire face aux besoins en financement croissant des micros, petites et moyennes entreprises au Sénégal, le capital-investissement (Private equity) est apparu comme un mode alternatif de financement de ces entreprises. Il en est de même pour les financements structurés, comme la titrisation des créances, ou encore la finance islamique en passant par le Financement participatif (Crowdfunding), entre autres.
L’État, capital-investisseur
Au cours du troisième trimestre 2022, le Sénégal, avec un total de près de 97 millions de dollars (62 milliards de Fcfa) a attiré plus de ressources de financement via le private equity que le Kenya et l'Afrique du Sud.
Cette performance du Sénégal dans ce secteur au troisième trimestre 2022, a été soutenue par le prêt de 91,8 millions de dollars apporté par la Société financière internationale (SFI) et d'autres investisseurs, au profit de la fintech Wave Mobile, au mois de juillet 2022.
Dans la même période, la deuxième plus importante transaction ciblant une entreprise sénégalaise concerne les 5 millions $ (plus de 3 milliards de Fcfa) octyroyés par Symbiotics, une plateforme d’investissement à impact basée à Genève (Suisse) à Baobab+, une entreprise sociale française agissant dans les domaines de l’accès à l’énergie et au digital.
Ce montant est destiné à renforcer l’électrification dans 6 pays d’Afrique subsaharienne, dont le Sénégal où s’active Baobab+. Au cours des 6 dernières années, Baobab+ a en effet, équipé 250 000 foyers et servi plus de 1 500 000 bénéficiaires avec un « Pay-As-You-Go » (PAYG), un modèle qui fait tomber la barrière des coûts. Les clients sont autorisés à effectuer des paiements quotidiens, hebdomadaires ou mensuels en fonction de leur trésorerie, afin d’activer et finalement de devenir propriétaire de leur appareil.
Au même titre que le Public equity ou encore le Capital risk, le private equity est une des trois formes de financement par capitaux propres. Depuis 2019, le Sénégal a reçu près de 342 millions $ (plus de 200 milliards de Fcfa) dans le secteur, mais Wave a, à elle seule, a reçu 291 millions $ (plus de 180 milliards de Fcfa) du total sur la période. Le capital investissement consiste à accompagner la croissance de l'entreprise pour en tirer profit en partageant les risques.
Dans ce système, l’État peut bien jouer sa partition en tant que capital-investisseur et comme le rappelle notre spécialiste de l’investissement, l’investissement en capital n’est pas un mode d’action publique nouveau. On se souvient de Fraport Sénégal, filiale sénégalaise de la société allemande Fraport qui avait été attributaire de la gestion de l’Aéroport international Blaise Diagne de Diass (AIBD), « Cela a été fait sous le mode de l’Equity Financing », souligne-t-il. Pour la petite histoire, dans le contrat initial qui la liait au Sénégal, Fraport détenait 75% du capital de l’aéroport, les 25% revenant à l’Etat avant qu’en 2012, après négociations entre les parties, la répartition du capital octroyait 51% des parts à Fraport contre 49% pour l’Etat sénégalais dont les parts étaient réparties entre le Fonds souverain d’investissement (Fonsis) pour respectivement 20% et Aibd Sa pour 29%.
Ceci pour dire dans cette hypothèse, que l’idée serait pour l’Etat de mettre en place une société de gestion de projets et de participer au capital à titre minoritaire, en mettant en avant un partenaire solide, tout en escomptant un « Pay back » sans bourse déliée, en lieu et place d’un financement dette-Etat.
« Dans ce cas de figure, la dette n’est pas originée sur le Sénégal mais sur la société », précise notre spécialiste de l’investissement. Sauf que le partenaire en question doit être une société cotée en bourse et capable de mobiliser des ressources.
Les pratiques publiques de capital-investissement sont de plus en plus reconnues comme une solution aux problèmes de financement du développement, grâce à leur capacité supposée à remplir un double objectif de rentabilité, à la fois social et financier. Cette double rentabilité repose sur l’idée que ces instruments financiers soient capables de générer ce qu’on appelle des impacts ou des résultats, autrement dit des incidences positives, à la fois, en matière de développement, tout en générant un retour de l’argent public sous forme de bénéfices financiers.
Un écosystème diversifié
Premier fonds d'investissement sénégalais, Teranga Capital, est une entreprise privée de droit sénégalais créée en 2016 par des entrepreneurs et des acteurs privés, qui cible les PME avec des tickets entre 50 et 200 millions FCFA. C’est un fonds d'investissement qui apporte des solutions de financement et d’accompagnement innovantes, spécifiquement conçues pour répondre aux besoins des petites et moyennes entreprises au Sénégal notamment, et souvent freinées dans leur développement par un difficile accès aux financements de long-terme et aux compétences. A côté, on trouve Partech Africa, présent au Sénégal avec un focus sur les startups technologiques, ou encore I&P (Investisseurs & Partenaires), très actif dans le pays avec des investissements dans les PME.
Dans l’écosystème du capital-investissement, on trouve également des institutions de financement du développement comme la BNDE (Banque Nationale pour le Développement Économique) ; le FONSIS (Fonds Souverain d'Investissements Stratégiques) ; la DER/FJ (Délégation à l'Entrepreneuriat Rapide des Femmes et des Jeunes).
La tendance est au « dé-risquing » à travers l'Equity Financing, donnant aux investisseurs une participation dans l'entreprise. Avec des avantages comme l’absence de remboursement direct, contrairement aux emprunts, l’apport d'expertise et de réseau par les investisseurs, la dilution du risque financier, et une flexibilité accrue dans la gestion financière de l'entreprise. De ce point de vue, celle-ci a l’opportunité de financer son activité ; d’acheter des actifs ; de servir de garantie aux créanciers ; d’investir dans des projets de développement.
Dans ce nouveau paradigme de financement du développement, le FONSIS joue un rôle crucial en « dé-risquant » les projets stratégiques, en finançant les études techniques et financières pour prouver leur viabilité et attirer les investisseurs privés, ainsi qu’en co-investissant pour partager les risques. Depuis 2016, le FONSIS a mis en place quatre fonds de capital-investissement, totalisant 160 millions €, pour financer les PME et les projets innovants au Sénégal, facilitant ainsi l’accès au capital pour les projets à fort impact socio-économique.
Les Fonds internationaux ne sont pas en reste, ils affichent une présence locale, c’est le cas entre autres de AfricInvest, basé en Tunisie mais très actif au Sénégal ; Amethis Finance qui a réalisé plusieurs investissements significatifs ; Adenia Partners, présent dans la région avec des investissements au Sénégal. A ceux-là, il faut ajouter des Family Offices et investisseurs privés comme Groupe SUNU Participations, ou encore Holding Teylium et même des sociétés de gestion et fonds d'investissement comme CGF Capital (filiale de CGF Bourse) ; WIC Capital (Women's Investment Club) ; Energy Access Ventures. Tous ces acteurs proposent différents tickets d'investissement, allant de quelques millions de FCFA à plusieurs milliards. Ils interviennent à différents stades de développement des entreprises (amorçage, développement, croissance).
Bien que multisectorielle, la pratique du capital-investissement est principalement orientée sur le capital-développement s'adressant aux PME bien établies ou aux grandes entreprises, avec des risques réputés plus élevés que les gains. Dès lors, est née une nouvelle forme de capital-investissement, l'« investissement d'impact » qui vise à financer des projets d'entreprises sociales « ODD orientés » (du nom des objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 des Nations-Unies) dans des domaines comme la santé, l'éducation ou l'environnement, cherchant à obtenir un impact social et/ou environnemental en plus d'un retour sur investissement.
L'impact des financements innovants au Sénégal est jugé significatif, notamment dans les secteurs de l'énergie et de l'agriculture. Ces financements ont permis de lancer plusieurs projets d'infrastructure et de développement durable. Le taux d'adoption varie selon les secteurs et les régions, avec une adoption plus rapide dans les zones urbaines où l'accès à l'information et aux ressources est plus facile.
En revanche, le cadre stratégique pour la promotion de l'innovation reste faible, et les spécificités de la vulnérabilité des jeunes entreprises ne sont pas suffisamment prises en compte. Il s’y ajoute un manque de plateformes pour l'échange d'expériences entre jeunes entrepreneurs et entrepreneurs seniors, ainsi qu’un renforcement des capacités institutionnelles pour gérer efficacement ces financements innovants.
Gouvernement, acteurs internationaux, institutions spécialisées
Au Sénégal, le marché du financement structuré n’est pas non plus à ses débuts. L’exemple le plus récent est relatif aux travaux d’extension 2X3 voies de la section de 10 km entre la gare de Thiaroye et la gare Rufisque de l’Autoroute à péage. La réalisation de ces ouvrages s’est concrétisée à travers la société de projets SECAA SA, filiale sénégalaise de Eiffage, concessionnaire de ladite autoroute, et dont le contrat a subi un avenant en 2021, qui a entériné l’entrée au capital de l’État du Sénégal à hauteur de 25 %.
Dans un autre registre en termes de financement structuré, on note certes une disponibilité limitée de produits financiers sophistiqués par rapport à des marchés plus matures, mais le marché présente un potentiel de croissance et de développement. Cependant, tout en offrant des opportunités importantes pour stimuler le développement immobilier, par exemple, le marché secondaire sénégalais pour les prêts hypothécaires reste sous-développé.
Il est confronté, en effet à de nombreux défis limitant la disponibilité des options de financement à long terme pour les consommateurs à savoir : lourdeur des Procédures Administratives et Judiciaires ; le coût Élevé des Prêts ; l’informalité du Marché Immobilier.
Certaines institutions financières spécialisées semblent jouer un rôle crucial dans le financement structuré. C’est le cas de la Banque de l'Habitat du Sénégal (BHS). Cette institution spécialisée dans le financement du logement pourrait être un acteur important dans les opérations de titrisation liées au secteur immobilier. En tant que banque de développement, la Banque Nationale pour le Développement Économique (BNDE) pourrait aussi être impliquée dans des opérations de financement structuré liées à des projets de développement économique.
Interpellé sur la question, Mouhamadou Moustapha Faye, Directeur de KF Titrisation, est formel : « Le constat qui est fait aujourd’hui est que les sources de financement traditionnelles ont montré leurs limites et se sont essoufflées. C’est d’ailleurs ce qui explique la courbe qui se croise entre financement traditionnel et financement innovant et qui fait que la titrisation est de plus en plus utilisée par nos Etats. »
Plusieurs acteurs internationaux semblent également jouer un rôle significatif dans le marché du financement structuré au Sénégal. On peut citer le cas de SF Capital. En effet cette banque d'investissement africaine a été identifiée comme un acteur clé dans la structuration de projets majeurs, comme le Programme Spécial de Désenclavement (PSD). Son expertise en financement structuré et sa capacité à mobiliser des institutions financières internationales en font probablement un acteur dominant du marché. En outre, UK Export Finance (UKEF) qui est l'agence de crédit à l'exportation du Royaume-Uni a aussi été impliquée dans le financement du PSD, démontrant l'importance des institutions de financement du commerce extérieur dans le marché du financement structuré au Sénégal. Dans ce même projet, Mitsubishi UFJ Financial Group (MUFG), banque japonaise, a participé au consortium financier soutenant le PSD, illustrant l'implication d'institutions financières asiatiques dans le marché sénégalais.
Acteurs gouvernementaux et réglementaires
Les autorités gouvernementales et règlementaires ont un rôle clé dans la création d'un environnement propice au développement du financement structuré. Bien que n'étant pas des acteurs directs du marché, certaines entités gouvernementales et règlementaires exercent une influence significative sur le secteur du financement structuré : l’Autorité des Marchés Financiers de l'Union Monétaire Ouest Africaine (AMF-UMOA), par exemple. En tant qu'autorité de régulation des marchés financiers de la région, l'AMF-UMOA joue un rôle crucial dans l'encadrement et le développement du marché du financement structuré.
La Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) exerce une influence importante sur le secteur financier, y compris le marché du financement structuré, à travers ses politiques monétaires et ses réglementations. Le rôle des autorités en charge de la réglementation et celui du gouvernement ne doit pas être sous-estimé, car leurs politiques et initiatives façonnent l'environnement dans lequel opère le marché du financement structuré.
Le marché sénégalais du financement structuré, pour sa part, fait face à certains défis au nombre desquels on peut citer : le besoin de renforcement du cadre juridique et réglementaire d’une part, et d’autre part, la nécessité d'améliorer la profondeur du marché financier local, et enfin le renforcement de l'expertise locale en matière de montage financier complexe.
Bien qu'il soit difficile de déterminer avec précision les parts de marché de chaque acteur, l'analyse des informations recueillies laisse croire que le marché du financement structuré au Sénégal est dominé par un mélange d'institutions financières locales et internationales. Les grandes banques commerciales internationales, telles que Société Générale et Ecobank, semblent occuper une position de premier plan, aux côtés d'acteurs locaux importants comme la BICIS (SUNU) et Bank of Africa - Sénégal.
Toutefois, des institutions spécialisées comme SF Capital jouent également un rôle crucial, en particulier dans la structuration de projets d'envergure. L'implication d'acteurs internationaux comme UKEF et MUFG dans des projets majeurs souligne aussi l'importance des partenariats internationaux dans le développement du marché du financement structuré au Sénégal.
Au nom de la charia
Le mardi 26 avril 2022, toujours dans une dynamique de diversifier ses sources de financement, l’Etat du Sénégal, par le biais de la Société de Gestion et d’Exploitation du Patrimoine bâti de l’Etat (SOGEPA) jouant le rôle de véhicule financier, a émis avec succès un Sak record de 330 milliards de francs CFA, réalisant ainsi la plus grande opération de l’histoire du marché sous-régional.
Le Sak, singulier du mot arabe Sukuk, est un instrument financier islamique. Assimilées généralement à des obligations conventionnelles, les Sukuks ont ceci de particulier que ces mécanisme et procédés reposent sur les principes de la charia, la loi islamique. Cette levée de fonds de l’Etat du Sénégal avait suscité une forte adhésion des investisseurs de la sous-région et du Moyen-Orient avec un taux de couverture de l’émission supérieur à 110% en 3 jours de souscription. Au final, en cohérence avec les objectifs affichés lors du lancement de l’émission, un montant global de 330 milliards FCFA a été retenu par l’Etat du Sénégal.
Déjà en 2016, il faut le rappeler, l’Etat avait mobilisé près de 150 milliards de FCFA en lançant un « SUKUK Etat du Sénégal 6.00% 2016-2026 » avec Impaxis comme co-arrangeur et co-chef de file pour la structuration et le placement de l’emprunt obligataire par Appel Public à l’Epargne.
Les fonds levés avaient permis à l’Etat de financer des projets de développement économique et social incluant, notamment pour le pôle urbain de Diamniadio : un programme d’adduction d’eau potable ; et un programme de réalisation du réseau de voirie et d’éclairage public. Au total, le Sénégal a déjà émis trois Sukuks pour un montant d'environ 600 milliards de Fcfa. Preuve, s’il en est, que la finance islamique est l’une des alternatives de financement les plus crédibles pour le continent, et pour le Sénégal d’ailleurs, où plusieurs actions phares ont déjà été réalisées notamment la création de la Haute Autorité du Waqf et le vote de la loi sur le Waqf. C’est dire donc toute l’importance du rôle de l’Etat, notamment en ce qui concerne la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel pour ces financements innovants.
Comment ça marche ?
On trouve plusieurs types de produits en finance islamique comme le Mourabaha, le Ijara wa iktina, la Moucharaka… Les SUKUKS sont des produits obligataires islamiques (emprunts obligataires). Il s’agit d’opérations financières par lesquelles l’Etat ou un organisme public ou privé émet des obligations en contrepartie des sommes empruntées. Alors qu’une obligation classique est basée sur un contrat de dette et une rémunération assurée par des intérêts payés périodiquement, un Sak est un titre adossé à un actif tangible. C’est un instrument financier dont le sous-jacent (l'actif réel sur le prix contractuel duquel porte le produit dérivé concerné) doit correspondre à un actif économique tangible et identifiable, ce qui est naturellement adapté aux projets d'investissement de longs termes nécessaires au développement des infrastructures. La rémunération se fait ainsi par les revenus de l'actif. La finance islamique ne considère pas l’argent comme un bien pouvant générer par lui-même des revenus du fait de l’écoulement du temps, comme c’est le cas dans la finance conventionnelle.
Selon la définition de l'Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institution (AAOFI), les Sukuks sont des « certificats de valeur égale représentant des parts indivises dans la propriété des actifs tangibles, usufruit et service ou dans la propriété des actifs d'un projet ou d'une activité d'investissement ». Le Sak est donc un titre qui confrère un droit de propriété ou de copropriété, directement ou indirectement via un mandat, sur les actifs d'un émetteur. Le porteur d'un tel certificat reçoit une partie du profit attaché au rendement de l'actif sous-jacent. La rémunération versée aux porteurs de Sukuk devra donc être directement liée à la performance de l'actif ou de l'activité sous-jacente.
Assimilées généralement à des obligations conventionnelles, les Sukuks sont souvent structurés d'une manière similaire aux ABS (asset-based securities). Durant la durée de vie de l'instrument, les avantages et les risques des actifs sous-jacents reviennent aux détenteurs de Sukuk. Ces derniers perçoivent donc une part des revenus générés. Ce sont essentiellement les caractéristiques de cette rémunération qui donne à ces instruments une certaine similarité avec les obligations conventionnelles. En revanche, les porteurs de Sukuk sont également exposés au risque de l'actif sous-jacent au prorata de ce qu'ils détiennent. Cette spécificité les différencie des obligations conventionnelles.
Un marché en pleine croissance
Dans son rapport 2024 sur la stabilité des services des systèmes financiers islamiques, le Comité Permanent pour la Coopération Économique et Commerciale (COMCEC), dont le Sénégal est membre depuis 1969, établit le total actif de l'industrie de la finance islamique de l'ordre de 3,38 billions de USD soit une hausse de 4.31% par rapport à l'année 2023. Les banques islamiques y représentent 70.2% pour environs 2.37 billions USD et le marché des sukuks est en forte croissance pour plus de 850 milliards USD, soit 25.2% du total actif de la finance islamique. Un créneau porteur pour mobiliser la capacité d’investissement de la Diaspora.
La toute première forme d'un titre financier assimilé aux Sukuks modernes remonte à 1983, quand le gouvernement malaisien a émis une obligation souveraine connue sous le nom de Government Investment Certificate (Zulkhibri, 2015), basée sur le principe d'un crédit sans intérêts (Qard al-hassan). Mais les Sukuks n'ont été largement diffusés qu'après la décision du Conseil islamique de jurisprudence de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) en février 1988. Deux ans après, les premiers Sukuk ont été émis en Malaisie par Shell MDS.
Le Sénégal et les autres
Le Sénégal a été le premier pays de l'UEMOA, qui en 2014 avait des Sukuks d'un montant de 100 milliards de francs CFA sur quatre ans pour un taux de rendement de 6,25 %. Ces Sukuks avaient comme sous-jacent trois immeubles appartenant à l'État sénégalais. En 2016, le Sénégal réédite l'opération en levant 150 milliards de francs CFA offrant une marge annuelle de profit de 6 % avec une maturité de dix ans. L'actif sous-jacent consiste en l'usufruit d'une partie de l'aérogare de l'aéroport international Léopold-Sédar-Senghor du Sénégal (115 hectares). La valeur de l'actif Sukuk est évaluée à 250 milliards de francs CFA.
Bien que la Gambie et le Soudan aient déjà émis depuis plusieurs années des obligations islamiques à court terme dans leurs propres devises, les succès des émissions souveraines réalisées en 2014 par le Sénégal et l'Afrique du Sud ont démontré que ces instruments peuvent être une alternative de financement crédible pour les États africains. C'est le Soudan en effet qui fut le premier pays africain à s'y lancer en 2007, à une époque où la finance islamique sur le continent n'intéressait pas encore les gouvernements africains.
Plus récemment, l'Afrique du Sud est devenue le troisième pays non musulman après Hong Kong et le Royaume-Uni à avoir émis un Sak souverain. Le pays a émis en septembre 2014 un Sak Al-Ijara pour 500 M$ avec un taux de 3,9 %. Cette émission a connu une forte demande, parce que souscrite plus de quatre fois. Il faut souligner que c'est la deuxième émission en dollar réalisée par un pays africain sur le marché international des Sukuks, après celle réalisée par le Soudan, toutes les autres ont été réalisées en devise locale.
Depuis 2014, plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest ont bénéficié du soutien de la Société islamique de développement, la filiale de la Banque islamique de développement dédiée au secteur privé. Cela a ouvert la porte à d'autres pays qui commencent à y songer, notamment les pays de l'Afrique de l'Est, qui ont commencé à étudier ou à adopter des modifications légales et réglementaires, afin de créer un cadre juridique permettant d'accueillir la finance islamique et ses obligations conformes à la Sharia.
Un développement tiré par le secteur privé
Si l’on admet que le développement soutenable s’impose comme nouvel objectif mondial, il semble légitime de se demander si les évolutions récentes sont à la hauteur des enjeux en présence. Derrière la question du mode de financement, c’est bien celle du choix d’un modèle de développement qui se tisse en toile de fond. Une chose est sûre, si tout processus de développement économique et social est conditionné par l’obtention de ressources financières, qu’elles soient internes ou qu’elles proviennent de sources extérieures, il dépend avant tout de l’usage qui en est fait. La mobilisation des ressources internes suppose, bien entendu l’existence de systèmes bancaires et de régimes fiscaux efficaces, mais aussi équitables afin d’être acceptés par les populations, et donc d’institutions fiables.
Le faible recours aux instruments de financement innovants notamment le crédit-bail, l’affacturage, le capital-risque, la finance islamique, le financement solidaire, entre autres, limitent l’accès du secteur privé au crédit. S’agissant de la fiscalité, les pouvoirs publics devraient y apporter les aménagements nécessaires en vue de l’adapter aux montages de la finance islamique pour éviter les doubles taxations. En outre, la prépondérance du secteur informel dans l’activité́ économique de nos pays reste une grosse contrainte.
L’importance de la mobilisation des ressources financières nationales est un impératif. C’est vrai. Mais jusque-là, l’accent est mis sur la microfinance. Avec comme objectif de lutter contre la pauvreté, celle-ci est vue comme le moyen, pour les populations les plus pauvres, de prendre en main leur destin. Cette approche « par le bas » est certes louable et a le mérite de mobiliser l’épargne domestique. Il convient tout de même de noter qu’elle représente tout autant un moyen d’épargne et d’assurance, qu’un moyen d’investissement et que, de ce fait, son impact en termes de création d’emplois est à relativiser. De plus, nombreux sont ceux qui pensent que la microfinance s’est aujourd’hui, détournée des plus démunis et de son objectif principal de lutte contre la pauvreté.
Si les autorités sénégalaises veulent réellement basculer le paradigme, elles devraient d’abord rompre avec ce vocable de « lutte contre la pauvreté » qui, par des mécanismes discursifs et sans aucune définition univoque du phénomène que l’on veut combattre, a été imposé comme vecteur consensuel d’un projet politique, économique et social qui, est la pièce maîtresse-même du fameux « Consensus de Washington ».
Aussi, les autorités sénégalaises devraient-elles déconstruire et, en lieu et place de « lutte contre la pauvreté », adopter « Politique de développement » dans le cadre de laquelle, la réussite d’un financement interne, garant d’une plus grande indépendance économique, suppose tout de même de bâtir des institutions efficaces. Pour cela, il faut donc élargir le rôle dévolu aux marchés de capitaux, intérieurs et internationaux, un impératif aussi pour assurer un développement tiré par le secteur privé.
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